Venezia nella letteratura francese. Venise retrouvée. (parte III) (VENEZIA) ~ di Xavier Tabet - TeclaXXI

 

VENEZIA


                                          Venezia - ©Jacqueline Spaccini 

 

Xavier Tabet

VENEZIA NELLA LETTERATURA FRANCESE 

Venise retrouvée

III PARTE

  

  De nos jours, la vision de Venise qui émerge dans la littérature contemporaine française est celle d’une ville qui n’est nullement Venise-la-morte, comme on l’a si longtemps clamé avec une sépulcrale obstination ; une ville que l’on voudrait débarrassée de cet alibi culturel que fut la « mort à Venise », libérée tout à la fois des clichés romantico-poétiques que trop d’écrivains ont collé à elle et des postures aristocratiques qu’elle a engendrées. C’est ainsi que Claude Roy nous invite à « se méfier des réflexes élitistes, ‘aristocratiques’. Ne pas être le voyageur qui condamne les touristes, le ‘happy few’ qui méprise les foules, celui qui préfère le calme des villes mortes au brouhaha des mégapoles, et qui voudrait que la beauté des cités ou des campagnes lui soit réservée »[1]. Quant à Serge Rezvani, il reconnaît, avec auto-ironie, qu’il ne sait échapper à un « honteux réflexe de xénophobie envers les autres », dans une ville où « à ma grande honte je suis comme tout le monde », nécessairement rapproché des autres, les touristes, par la « certitude de l’éblouissement commun »[2].

   L’évocation du tourisme dans la littérature contemporaine n’est nullement anecdotique. Certains rappellent parfois, à l’instar de Michel Tournier, que la ville a toujours été parcourue, depuis la Renaissance au moins, par des foules bariolées de toutes les origines. Celles-ci ne la profanent pas, dans la mesure où elles lui sont depuis toujours consubstantielles et font partie de son « spectacle immémorial »[3]. En même temps sont évoqués les risques que présente le développement illimité du tourisme, dans une ville qui tend de plus en plus de devenir un de ces « non-lieux » décrits par Marc Augé dans ses écrits sur l’« anthropologie de la surmodernité ». Un simulacre, un lieu absent à lui-même, une carcasse vide, n’abritant plus aucune société organique et accueillant des visiteurs toujours plus nombreux, à une époque où le tourisme prend de plus en plus la forme de la rencontre de touristes avec d’autres touristes.

   Cette question est liée, pour les écrivains, à celle de la perception de soi comme singularité. Elle interroge la possibilité même d’une forme contemporaine d’aristocratie du goût dans nos sociétés de masse. Par une sorte de renversement de la posture élitiste, on en arrive à la reconnaissance d’une forme démocratique d’égalité dans l’admiration, une égalité des hommes face à la beauté et à la singularité de cette ville. Mais elle renvoie également au caractère de « lieu commun » de Venise. La ville est devenue un objet si passionnément regardé au cours du temps, si rempli de fantômes et d’histoires, si écrasé par les visions qu’on en a donné et les rêves qu’elle a inspirés, qu’est très fort le sentiment que rien ici ne peut être dit qui n’ait déjà été dit. Revient également le thème de la ville-texte, faite non seulement d’une architecture de briques et de marbres, mais également d’une architecture de textes. Venise est perçue comme une ville qui se feuillette autant qu’elle se visite, se lit autant qu’elle se parcourt.  Un lieu si écrit, si usé par les mots, qu’il semble désormais difficile, en dépit de la volonté d’en finir avec les mythologies du passé, de revendiquer une virginité du regard, une immédiateté de la sensation.

 

  Prisonniers de la singularité de la ville, les écrivains sont souvent tentés soit d’abandonner la lutte, face à cette ville de la redite. La saturation du dit devient constitutive de son caractère d’énigme. Dans un texte intitulé La tête coupée (1973), prolongé par celui sur Les miroirs vénitiens (1975), Michel Tournier part de la constatation qu’il n’est pas d’endroit plus pressenti, plus « préjugé » que Venise. Celle-ci se présente comme une énigme, qui promet une réponse imminente, toujours différée, comme une ville chiffrée qui nous promet à chaque instant une réponse, mais qui ne tient jamais sa promesse.

    Ce caractère d’énigme doit être mis en relation avec un thème persistant dans la littérature contemporaine : celui du miroir. Venise est en effet souvent perçue comme une ville miroir qui s’abîme dans son double. Une ville qui n’est pas seulement une ville théâtrale et spectaculaire, mais aussi spéculaire, indéfiniment regardée par ses spectateurs, et où le but de toute chose est d’être vue. Ce thème se trouve parfois exprimé sur un mode en partie négatif. C’est le cas dans les textes vénitiens de Jean-Paul Sartre, où la présence de l’eau représente la « notion négative », le néant de la « bête pustuleuse », la « plante vénéneuse » à laquelle nous sommes confrontés. Pour l’auteur de L’être et le néant, qui dit aimer Venise, mais « sans amitié », cette ville narcissiste « se contente de se souvenir d’elle-même ». Preuve encore que la ville du double continue à nourrir, parallèlement à sa légende dorée, une légende plus inquiétante : celle d’une ville ayant une « complaisance sombre pour elle-même »[4].

 

   En dépit de la persistance de cette dualité du regard, on peut affirmer que Venise est aujourd’hui « revenue »[5]. Devenue la ville d’une nouvelle expérience, celle de l’instant vécu comme tel, elle est revenue, au terme d’une résurrection lente, après que s’est estompée, voire décomposée, la vision romantique du XIXème siècle, lorsque l’on avait décidé que Venise était un vestige, une ruine, et même le symbole de la mort. Malgré la permanence des anciens clichés, la Venise retrouvée qu’évoquent les écrivains contemporains est bien souvent éloignée de toute fixité. Une expression de la modernité picturale, du cinétisme de la couleur.

  De nos jours, Venise reste une ville encombrée de mythes, de présences et de fantômes, à laquelle il incombe de savoir résister à ses propres sortilèges. Sa survie passe, d’une certaine façon, par l’impératif d’« oublier Thomas Mann », comme l’affirmait le philosophe Massimo Cacciari lorsqu’il était maire de Venise. C’est du reste une modernité de Venise qu’évoquent bien souvent les écrivains français contemporains. Oublier Thomas Mann, et oublier Maurice Barrès, cela signifie pour la ville réussir à incarner une nouvelle idée, à porter un nouveau message qui soit universel. Son caractère usé, décrépit, apparaît alors comme un signe de modernité. Par sa fragilité, l’anarchie de ses apparences, la multiplicité et le dépareillement de ses aspects, elle semble nous dire ce que pourrait être la ville moderne dans notre troisième millénaire, s’il est vrai que « plus que notre passé, elle est notre présent et notre avenir »[6].

  


[1] C. ROY, L’étonnement du voyageur. 1987-1989, Paris, Gallimard, 1990.

[2] S. REZVANI, Venise qui bouge, Arles, Actes Sud, 2004.

[3] M. TOURNIER, « Les miroirs vénitiens », dans Les météores, Paris, Gallimard, 1975.

[4] J-P. SARTRE, La reine Albemarle ou le dernier touriste [1952], Paris, Gallimard, 1991.

[5] P. SOLLERS, « L’autre Venise » [1995], dans ID., Éloge de l’infini, Paris, Gallimard, 2001.

[6] A. BUISINE, Dictionnaire amoureux et savant des couleurs de Venise, Paris, Zulma, 1998.


Xavier Tabet

BIONOTA

Xavier Tabet est professeur au département d’études italiennes de l’Université Paris 8. Ses travaux

portent sur les liens entre la littérature, la politique et le droit, en Italie, du XVIIIe au XXe siècle. Il

a publié des ouvrages sur les interprétations et usages contemporains de Machiavelli, sur le mythe

de Venise de l’ancien régime à nos jours, et sur le droit pénal de Beccaria à Lombroso.


 

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