En attendant les beaux jours. Sam Beckett (NARRATIVA) ~ di Pascal Fioretto - TeclaXXI

 NARRATIVA


En attendant les beaux jours.

Sam Beckett

 

 

                Vincent Van Gogh, Un paio di scarpe (1886), Van Gogh Museum di Amsterdam



Un de ces siècles, tôt le matin.

La scène est un trottoir roulant en panne. A gauche du bord droit, la scène. A droite du bord gauche, la scène.

A l’avant-scène, un bébé clochard adulte est allongé sur le dos : Monoy.

Il est emmailloté (bras et jambes) dans des langes, blancs-jadis, tâchés-depuis. Il tient à la main, invisible sous ses bandages, un tube de lotion solaire vide.

Un cône lumineux tombant des cintres signale l’absence de soleil.

Dans la salle, le public est attentif, à l’exception d’un homme à chapeau qui somnole. Au quatrième rang, une spectatrice rousse ignore qu’elle a perdu ses clés (elle le découvrira en sortant du théâtre des Bouffes du Nord).

A l’extérieur du théâtre, il pleut.

 

 

Scène I 

 

Monoy (il essaie d’atteindre son biberon mais ses langes l’entravent). - Je me demande. (Pause.). Si je suis né mort ou. (Rictus de macchabée). Si je suis mort né. (Il se tortille en essayant de rouler sur le côté)

 

Un spectateur s’éclaircit la gorge.

 

Monoy. (ahanant dans son effort pour se remettre au monde et avancer vers la lumière). – Ils ont dit qu’ils viendraient. Ils viendront. Mais qu’est-ce qu’ils font? Ah, les beaux jours… où l’on peut sortir du dedans. Sortir, je l’ai déjà fait, avec elle, c’était quelque chose. J’étouffais de pas-de-malheur, chez elle. (Il accélère sa fréquence cardiaque jusqu’à 110 pulsations par minute). Neuf mois, elle m’a empêché de devenir mortel. (Son oreille droite le démange mais il ne peut l’atteindre). C’est elle qui m’a mis si bas en me donnant le dehors. M’a donné le déconfort. M’a mis à l’ombre. Depuis : cap au sud.

 

Le même spectateur tousse encore, imité par deux ou trois autres. Peter Brook, le metteur en scène, intervient.

 

Peter Brooks. (Excédé) – Hushhhhhh !

 

Monoy. (Il a réussi à rouler sur le sol jusqu'à son biberon qu’il tête goulûment les yeux mi-clos). – Aaah ! (il claque la langue, repu). Etre d’avoir tété… (Il regarde la lumière en plissant ses yeux, bleus-avant). Mais où irais-je, si je pouvais hâler ? Où halerais-je, si je pouvais aller ? Le ventre ! (Soupir). Oui, voilà d’où je halerais : du ventre. Et des épaules. Et de la face du moi. Lumière !

 

Le rideau fait semblant de tomber.

 

 

Scène II 

 

Le soleil est à son zénith. Marienska entre, côté jardin, en faisant claquer ses talons. Elle a soif de sens. C’est une femme pressée, à grande bouche, vêtue d’une robe blanc de blanc. Elle porte des lunettes de soleil et tient, de la main droite, deux têtes d’hommes, Reboux et Muller, par les cheveux.

 

Marienska. –. On a voulu bronzer, ici ! (Postillon dans la lumière). Ça le sent, l’air de rien (Elle hume l’air). Où est Monoy ?

Monoy. – Au soleil. Il cramoise.

Marienska. Et où est Rambaud ?

Monoy. – A l’ombre. Il n’est mort. Ni ne veut.

Marienska. De quelle douleur est-il ?

Monoy. – Presque pas.

 

Quelques critiques pointus pouffent pour montrer qu’ils ne sont pas dupes. Un métro passe en souterrain et fait légèrement vibrer la salle. De ses cheveux, Marienska caresse les deux têtes d’homme qui ouvrent soudain les yeux comme s’ils se réveillaient, en plein jour, du songe d’une nuit d’été.

 

Tête de Reboux. - Où est Muller ?

Tête de Muller. - Où est Reboux ?

Marienska. – Dites-leur, Monoy !

Monoy. – Ne le puis-je. L’astre diurne tombe. La nuit se couche. Les coups de soleil pleuvent.

 

 

Scène III 

 

Le soleil décline. Monoy, libéré de ses bandages, est assis sur un tas de sable, coup de soleil sur le nez. Il porte un bob, un col roulé vert-parfois et un pantalon en velours à la Jean-Claude Carrière. Coté jardin, Marienska lit Côté Sud. Côté cour, le père de Monoy affûte de gros ciseaux.

 

Monoy. (Essayant des postures) - Je dois jouer jusqu’à fin-de-partie.

Marienska. (Allaitant un poupon). – Tu es un intermittent de l’être-en-scène, c’est ton labeur de Belacqua. (Elle indique du menton les spectateurs) Comme d’habiter leur dedans.

Monoy. (Alternant toujours les postures) – Si au lieu que hâler, on demeurait toujours…

Le père de Monoy. (Il brandit la paire de ciseaux) – Mais ça ne peut, ni ne veut, ni ne sait. Ecrire, vivre, aimer, exister, c’est couper.

Monoy. – Alors, ce qu’il faudrait, c’est… (Pris d’un trou de mémoire, il regarde le trou noir du souffleur)

Le soufleur.  – Se taire.

Au balcon, une femme reçoit par SMS une fausse bonne nouvelle.

 

 Rideau rouge-naguère.


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PASCAL FIORETTO 

BIONOTA

Pascal Fioretto est l’auteur de recueils de pastiches littéraires à succès (Gay Vinci Code, Et si c’était niais, L’élégance du maigrichon, La joie du bonheur d’être heureux, Mélatonine, L’anomalie du train 006) dans lesquels il dresse, en virtuose, le portrait - parfois cruel, toujours hilarant - de la scène littéraire contemporaine. Celui que l’on a qualifié de « génie du pastiche » (L’Obs) et de« trublion des lettres » (Le Figaro Magazine) vit et travaille à La Rochelle.


 

 

 

 

 

 

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