En attendant les beaux jours. Sam Beckett (NARRATIVA) ~ di Pascal Fioretto - TeclaXXI
NARRATIVA
En attendant les beaux jours.
Sam Beckett
Un de ces siècles, tôt le
matin.
La scène est un trottoir
roulant en panne. A gauche du bord droit, la scène. A droite du bord gauche, la
scène.
A l’avant-scène, un bébé
clochard adulte est allongé sur le dos : Monoy.
Il est emmailloté (bras et
jambes) dans des langes, blancs-jadis, tâchés-depuis. Il tient à la main, invisible
sous ses bandages, un tube de lotion solaire vide.
Un cône lumineux tombant des
cintres signale l’absence de soleil.
Dans la salle, le public est
attentif, à l’exception d’un homme à chapeau qui somnole. Au quatrième rang,
une spectatrice rousse ignore qu’elle a perdu ses clés (elle le découvrira en
sortant du théâtre des Bouffes du Nord).
A l’extérieur du théâtre, il
pleut.
Scène I
Monoy (il essaie d’atteindre son biberon mais ses langes
l’entravent). - Je me demande. (Pause.).
Si je suis né mort ou. (Rictus de macchabée). Si
je suis mort né. (Il se tortille en essayant de rouler sur le côté)
Un spectateur s’éclaircit la gorge.
Monoy. (ahanant dans son effort pour se remettre
au monde et avancer vers la lumière). – Ils ont dit qu’ils viendraient. Ils
viendront. Mais qu’est-ce qu’ils font? Ah, les beaux jours… où l’on peut sortir
du dedans. Sortir, je l’ai déjà fait, avec elle, c’était quelque chose. J’étouffais
de pas-de-malheur, chez elle. (Il accélère sa fréquence cardiaque jusqu’à
110 pulsations par minute). Neuf mois, elle m’a empêché de devenir mortel. (Son
oreille droite le démange mais il ne peut l’atteindre). C’est elle qui m’a
mis si bas en me donnant le dehors. M’a donné le déconfort. M’a mis à l’ombre. Depuis :
cap au sud.
Le même spectateur tousse encore, imité par deux ou
trois autres. Peter Brook, le metteur en scène, intervient.
Peter Brooks. (Excédé) – Hushhhhhh !
Monoy. (Il a réussi à rouler sur le sol jusqu'à son
biberon qu’il tête goulûment les yeux mi-clos). – Aaah ! (il claque la langue, repu). Etre
d’avoir tété… (Il regarde la lumière en plissant ses yeux, bleus-avant). Mais où irais-je, si je pouvais hâler ?
Où halerais-je, si je pouvais aller ? Le ventre ! (Soupir). Oui, voilà d’où je halerais :
du ventre. Et des épaules. Et de la face du moi. Lumière !
Le rideau fait
semblant de tomber.
Scène II
Le soleil est à son zénith. Marienska
entre, côté jardin, en faisant claquer ses talons. Elle a soif de sens. C’est
une femme pressée, à grande bouche, vêtue d’une robe blanc de blanc. Elle porte
des lunettes de soleil et tient, de la main droite, deux têtes d’hommes, Reboux
et Muller, par les cheveux.
Marienska. –. On a voulu bronzer, ici ! (Postillon
dans la lumière). Ça le sent, l’air de rien (Elle hume l’air). Où
est Monoy ?
Monoy. – Au soleil. Il cramoise.
Marienska. – Et où est Rambaud ?
Monoy. – A l’ombre. Il n’est mort. Ni ne veut.
Marienska. – De quelle douleur est-il ?
Monoy. – Presque pas.
Quelques critiques pointus pouffent pour montrer
qu’ils ne sont pas dupes. Un métro passe en souterrain et fait légèrement
vibrer la salle. De ses cheveux, Marienska
caresse les deux têtes d’homme qui ouvrent soudain les yeux comme s’ils se
réveillaient, en plein jour, du songe d’une nuit d’été.
Tête de Reboux. - Où est Muller ?
Tête de Muller. - Où est Reboux ?
Marienska. – Dites-leur, Monoy !
Monoy. – Ne le puis-je. L’astre diurne tombe. La
nuit se couche. Les coups de soleil pleuvent.
Scène III
Le soleil décline. Monoy,
libéré de ses bandages, est assis sur un tas de sable, coup de soleil sur le
nez. Il porte un bob, un col roulé vert-parfois et un pantalon en velours à la
Jean-Claude Carrière. Coté jardin, Marienska lit Côté Sud. Côté cour, le père
de Monoy affûte de gros ciseaux.
Monoy. (Essayant des postures) - Je dois jouer jusqu’à fin-de-partie.
Marienska. (Allaitant un poupon). – Tu es un
intermittent de l’être-en-scène, c’est ton labeur de Belacqua. (Elle indique
du menton les spectateurs) Comme d’habiter leur dedans.
Monoy. (Alternant toujours les postures) – Si
au lieu que hâler, on demeurait toujours…
Le père de Monoy. (Il brandit la paire de ciseaux) – Mais ça ne peut, ni ne veut, ni ne sait. Ecrire,
vivre, aimer, exister, c’est couper.
Monoy. – Alors, ce qu’il faudrait, c’est… (Pris d’un trou de mémoire, il
regarde le trou noir du souffleur)
Le soufleur. – Se
taire.
Au balcon, une femme reçoit par SMS une fausse bonne
nouvelle.
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BIONOTA
Pascal Fioretto est l’auteur de recueils de pastiches littéraires à succès (Gay Vinci Code, Et si c’était niais, L’élégance du maigrichon, La joie du bonheur d’être heureux, Mélatonine, L’anomalie du train 006) dans lesquels il dresse, en virtuose, le portrait - parfois cruel, toujours hilarant - de la scène littéraire contemporaine. Celui que l’on a qualifié de « génie du pastiche » (L’Obs) et de« trublion des lettres » (Le Figaro Magazine) vit et travaille à La Rochelle.
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