Venezia nella letteratura francese. Venise disparue. (I parte) (VENEZIA) ~ di Xavier Tabet - TeclaXXI
VENEZIA
Xavier
Tabet
Venezia nella letteratura francese
PRIMA PARTE: Venise disparue
Venise est peut-être la ville qui a donné lieu
au plus grand nombre d’interprétations, lectures, et représentations. Elle constitue une sorte de ville
palimpseste, à réinterpréter constamment. À cette énigme de Venise, la France a
apporté une contribution importante. Paul Morand affirme ainsi, au tout début
de son Venises, en 1971 :
« Les canaux de Venise sont noirs comme l’encre ; c’est l’encre de
Jean-Jacques, de Chateaubriand, de Barrès, de Proust ; y tremper sa plume
est plus qu’un devoir de Français, un devoir tout court ». Cette « obligation »
fait de Venise une sorte de lieu de mémoire hexagonal.
Durant l’ancien régime déjà Venise avait
représenté, sur le plan politique, un modèle de régime idéal parce
que mixte, prétendant réunir toutes les qualités de la monarchie, de
l'aristocratie et de la démocratie. Ce modèle avait été décrit par les
historiens de la Sérénissime à partir au moins du XVIème siècle, et diffusé en
Europe par ses ambassadeurs, jusqu’au XVIIIème siècle, pour conjurer le déclin
amorcé à partir de la fin de la Renaissance. Néanmoins, dans une France où la
monarchie s’est constituée, depuis le Moyen-âge, en limitant les pouvoirs de la
noblesse, ce modèle avait été critiqué par une longue tradition d’écrits
français, de Bodin à Amelot de la Houssaye aux XVIème et XVIIème siècles,
jusqu'à Montesquieu et aux Encyclopédistes, qui voyaient en Venise un régime
purement aristocratique. Par la suite, lorsque Bonaparte mettra le pied sur la
« délicate moisissure », selon l’expression de Julien Gracq, de la
chose politique vénitienne, c’est la France qui se fera l’artisan, au moment du
traité de Campoformio, de la disparition définitive de la Sérénissime. De sorte
qu’au cours de la première moitié du XIXème siècle, à partir de la publication
de la monumentale Histoire de la
république de Venise (1819) de Pierre Daru, on trouve en France un certain
embarras à l’égard de cette page sombre de l’histoire de la Révolution
française que fut la fin de la République aristocratique de Venise.
À la suite de la disparition de son ancien
gouvernement, s’élabore un mythe de Venise désormais essentiellement esthétique.
Parce qu’elle apparaît comme une ville soustraite à l’histoire, Venise peut
représenter un refuge, une patrie élective pour les exilés volontaires de
la civilisation industrielle qui voient en elle un lieu où venir méditer sur le
temps, sur la grandeur et la décadence des civilisations. Disparue en tant qu’État, elle devient un mythe artistique et
littéraire au XIXème siècle, lorsque l’on passe de la mort de Venise à la mort à
Venise, c’est-à-dire du mythe politique au mythe esthétique.
À cet égard, on peut dire que les écrits
vénitiens de Maurice Barrès appartiennent en réalité au XIXème siècle, même
s’ils datent du début du XXème. Chez Barrès en effet, Venise reste
cette ville « métaphysique » qu’évoque le philosophe allemand
Georg Simmel en 1907, dans un petit texte qui est un chant du cygne
philosophique de toute une vision de Venise caractéristique du XIXème
siècle[1].
Selon cette vision, Venise représente la ville artifice, où l’apparence
vit comme séparée de l’être ; une ville mensonge, qui a la beauté ambiguë
de l’aventure, et qui « flotte dans la vie sans racines, comme une fleur
arrachée et jetée dans la mer ». Selon Barrès également, Venise est une
ville « menteuse ». Privée de son sens historique, elle n’agit plus
que par sa « régression ». Mais elle est aussi le lieu d’un culte du
moi, qui retrouve en elle une image idéale, et fait de cette ville « un
immense réservoir de jouissance », pour « s’accroître et se créer
heureux »[2]. Cette jouissance est une
traversée de la mort, mais une mort par excès d’amour pour la vie. Elle prend
l’allure d’un véritable paludisme, dans une ville qui, comme l’écrit Barrès,
« m’a toujours donné la fièvre ». Venise est alors le refuge des
vaincus et des mélancoliques, des « déracinés » qui se plaisent
dans « une ville où nulle beauté n’est sans tare ». En vertu
d’un paradoxe décadent, ces vaincus sont pourtant des vainqueurs. Ils
sortent affinés, disciplinés, par une traversée de la ruine, de la désagrégation
et du désordre, là où « tant de beautés qui s’en vont à la mort nous
excitent à jouir de la vie ». Ils trouvent dans cette ville, qui incarne
leur sensibilité, une patrie idéale, un refuge contre la banalité de la
majorité.
Jusqu’à
la première guerre mondiale au moins, autour du mythe de Venise, continue à se
jouer le jeu ambigu d’une aristocratie, celle des patriciens, usée par une mort
millénaire, et d’une mort porteuse d’une aristocratie imaginaire :
l’aristocratie des esthètes. Par la suite, la ville continuera à s’offrir comme
une « ravissante maison close où les âmes d’élite viennent
s’assouvir », comme l’écrit ironiquement Cocteau en 1923 dans un roman de
jeunesse intitulé Le grand écart.
Elle représentera encore un de ces mauvais lieux officiels pour
littérateurs, et sera destinée à
figurer comme un de ces hauts lieux du snobisme parisien. C’est ainsi tout
un ensemble de clichés qui perdurent au XXème siècle. On les retrouve par
exemple dans les textes d’André Suarès. Venise est la « ville
tentatrice », la ville « illusion », dangereuse parce
qu’enchanteresse. Elle est la ville d’une forme de mélancolie aristocratique,
incarnée par la statue du Colleone qui contemple de sa hauteur « le
troupeau médiocre qui bavarde à ses pieds ». Une mélancolie nietzschéenne,
qui aboutit à un redoublement de puissance et de vie, car « c’est dans la
ville morte que l’on se sent le plus vivre » [3].
Au XXème siècle, cependant, une certaine idée
de Venise s’épuise, lorsque la première guerre mondiale a mis fin à ce mythe
européen. Dans les années 1920, la
ville fait désormais partie du « monde d’hier ». Certes, une dernière
querelle de Venise était destinée à se poursuivre en France. Néanmoins, les
essais de Lucien Fabre (Bassesse de Venise, 1924) et de Georges Ravène (Défense
de Venise, 1928) concernent surtout l’héritage barrésien et la sensibilité
décadente, à un moment où l’on passe du siècle de Barrès au siècle de
Gide. À Verdun, les « déracinés » à la Barrès ont retrouvé leurs
terres d’origine, les « condottières » à la Suarès ont rejoint leurs
armées respectives. Juste avant la Grande Guerre, la Mort à Venise (1912)
de Thomas Mann peut se lire, de façon cathartique, comme un adieu aux
thèmes et aux mythes persistants du romantisme et du décadentisme, à cet ancien
monde incarné par le mirage vénitien, dont Verdun ne fit que précipiter la
pulvérisation. Par la suite, la seconde guerre mondiale mettra fin au
mythologies barrésiennes et wagnériennes, la mort à Auschwitz représentant,
comme l’a écrit avec profondeur le philosophe et survivant Jean Améry, la mort
de la mort à Venise[4].
* la seconda parte sarà pubblicata da TeclaXXI il 21 novembre 2024
[1] G.
SIMMEL, Rome, Florence, Venise [1907], Paris,
Éditions Allia, 1998.
[2] M.
BARRÈS, La mort de Venise [1903],
Saint-Cyr-sur Loire, Christian Pirot, 1990.
[3] A.
SUARÈS,
Voyage du condottière [1910], Paris,
Granit, 1984.
[4] J.
AMÉRY, Par delà le crime et le châtiment. Essai pour
surmonter l’insurmontable [1966], Arles, Babel, 2005.
Xavier Tabet
BIONOTA
Xavier Tabet est professeur au département d’études italiennes de l’Université Paris 8. Ses travaux
portent sur les liens entre la littérature, la politique et le droit, en Italie, du XVIIIe au XXe siècle. Il
a publié des ouvrages sur les interprétations et usages contemporains de Machiavelli, sur le mythe
de Venise de l’ancien régime à nos jours, et sur le droit pénal de Beccaria à Lombroso.
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