Venezia nella letteratura francese. Venise endormie. (II parte) (Storia) ~ di Xavier Tabet - TeclaXXI

VENEZIA


Venezia - Basilica di Santa Maria della Salute ©Jacqueline Spaccini 

 

Xavier Tabet

 

Venezia nella letteratura francese

II PARTE

 

Venise endormie

 

   Dans la Recherche du temps perdu, écrite entre 1909 et 1922, ainsi que dans les écrits consacrés aux Pierres de Venise de Ruskin, Marcel Proust évoque Venise à la manière de Whistler et de Monet, et réussit à en faire une ville de lumière, de rythme et de couleur, aux antipodes de la Venise agonisante de Barrès. Cette cité, dans laquelle le narrateur avait déambulé comme un personnage des Mille et une nuits, figure dans l’œuvre comme l’endroit où celle-ci se révèle et s’accomplit. En dévoilant au narrateur sa vocation, à travers le souvenir involontaire restitué lors de l’épisode final des pavés de l’hôtel des Guermantes, en lui permettant de trouver « un peu de temps à l’état pur », la ville échappe à la contemplation « passive », selon l’expression de Marcel Proust, dont elle a été l’objet durant le long XIXème siècle. De la même façon, chez Claude Monet, dans la rencontre du soleil et de la brume, de la lumière et de l’atmosphère humide, la perception de Venise passe à travers la couleur. Lorsque le regard du peintre restitue Venise au ciel et à l’eau, la belle dormeuse est alors transformée en une ville instantanée. Rajeunie, la forme est saisie à l’état naissant, en tant que nature. Une nature qui aurait créé ses œuvres avec une imagination humaine.  

   La sortie du mythe posthume de Venise - et de Venise comme ville morte - est perceptible également dans les romans et textes vénitiens d’Henri de Régnier, écrits autour de la première guerre mondiale. À l’image de ses amis Jean-Louis Vaudoyer et Edmond Jaloux, l’écrivain s’interdit tout lyrisme, tout romantisme, et toute exaltation factice. Préoccupé avant tout de résister aux thèmes mis à la mode par Barrès, il entend considérer Venise, dès ses Esquisses vénitiennes de 1906, comme une « ville hygiénique », sans se draper dans le manteau du romantisme. Certes la fascination pour Venise qu’éprouve l’hôte du Palais Dario, amateur d’antiquités et de bibelots et admirateur de Fortuny, prend aussi la forme d’une nostalgie pour l’ancien patriciat, pour les fêtes galantes du XVIIIème siècle et la Venise de Pietro Longhi, pour « des époques de politesse, de courtoisie, de frivolité, d’aimable indulgence, d’élégance, de luxe ». Mais en même temps, tout en ne niant pas le sortilège de cette ville inexplicable, l’amour pour Venise se veut familier, exempt de snobisme et d’esthétisme. La ville est le lieu de la résonance intime, celui où l’on s’appartient le mieux à soi-même. Sans que le fait d’être à Venise ne confère aucune dignité particulière, c’est là cependant que l’on éprouve le secret bonheur d’être là, à travers le « silence heureux où tout se tait en vous »[1].

  Malgré le nouveau regard qui émerge au début du siècle, on peut dire que l’on assiste progressivement, au cours de la première partie du XXème siècle, à un épuisement du mythe de Venise, évoqué ici à partir de la France. La ville a cessé d’être l’enjeu d’un réel débat portant sur son histoire et le sens authentique ou imaginaire de son ancienne aristocratie. En Italie, les choses sont certes différentes. Autour de la première guerre mondiale, on tentera de fonder sur la tradition impériale de la Sérénissime les bases historiques de l’impérialisme adriatique de l’Italie fasciste. Par la suite, la « grande Venezia », à l’époque nationaliste et fasciste, sera appelée à renouer avec son passé d’ancienne reine de l’Adriatique tout en se projetant dans la modernité, c’est-à-dire à se réinventer un destin tout en échappant à la Venise faisandée des étrangers. Mais en dépit des métamorphoses italiennes du mythe de Venise, il n’en reste pas moins vrai que la ville endormie semble représenter au XXème siècle une idée du passé, une idée dépassée.  

   Un petit texte semble particulièrement significatif du véritable changement de regard qui s’opère en revanche après 1945 quant à l’idée de Venise. Il s’agit de celui de Jean Cocteau, dans sa présentation d’un livre de photographies intitulé, en 1957, Venise que j’aime. Dans cet écrit de l’après-guerre, le poète a bien changé d’avis sur la ville par rapport à l’époque de son roman de 1923, Le grand écart. Il voulait alors se démarquer du vieux décadentisme, et entendait retrouver un certain classicisme, qui l’éloignait de Venise. Celle-ci avait déçu son héros, « comme un décor gondolé à force de servir ». En 1936, dans Le tour du monde en 80 jours, Cocteau continue à voir la ville comme « une sirène qui se défait dans un marécage de l’Adriatique ». Dans l’entre-deux-guerres, elle fait du reste souvent figure d’aventure négative, comme elle l’est encore, en 1942, pour le personnage des Voyageurs de l’impériale d’Aragon, face à « cette mer fausse comme le faux amour des gondoles », dans une ville où « tout a ce caractère de déjà vu ». En 1957, par contre, Cocteau dit avoir à présent retrouvé Venise, lorsque l’angle sous lequel on la voyait par le passé n’exerçait plus d’influence sur lui. Les spectres de Musset et de Sand, l’ombre de Barrès, le cadavre de Wagner dans la gondole des morts, tout cela, écrit le poète, cède la place à la santé d’une ville active et bruyante. Il redécouvre une ville désormais « défantomatisée », désarmée d’artifices. Cette ville libérée de la vision des anciens maîtres lui apparaît à présent si belle que le poète accepte « de le braire avec les ânes », car  « où vit-on […] / Tant de lions couchés devant le seuil des portes […] / Tant de Jésus marcher sur l’eau, / Tant de pigeons marchant de long en large/ Avec l’habit à queue et les mains dans le dos ? […]  / Où vit-on atteler des hippocampes d’or ? ».

  Ce réveil apparaît, de façon plus précoce encore, chez un proche de Cocteau. Dans Les enfants de Venise, publié en 1941, André Fraigneau confesse que, dans les années 1920, il avait traversé Venise « les yeux fermés », guidé à travers les canaux et les galeries des palais par le souvenir des lectures de Maurice Barrès et Thomas Mann. Il en va tout autrement en 1939, à l’époque à laquelle se situe le séjour qu’il raconte dans cet ouvrage, lorsqu’il éprouve pleinement le « charme égal » de Venise, celui de « posséder indéfiniment ce que l’on possède ». Ce charme est d’autant plus fort que l’auteur le redécouvre à un moment où cette ville trop célèbre semble ne plus faire recette, après être tombée en défaveur dans l’entre-deux-guerres. C’est alors qu’il se retrouve face à la ville comme « seul sur un passionnant champ de fouilles ». Le charme d’une ville que l’on a décrit trop souvent comme croupissante, délitée, pestiférée et mortelle, lui apparaît au contraire comme celui d’« un corps souple, nu, baigné, ventilé, coloré et décoloré par le sel violent de l’Adriatique ». Il voit en elle désormais la vie là où l’on a si souvent cru observer la mort, « la propreté, la santé, l’innocence, là où tant de poètes avaient déposé leurs ordures personnelles, entêtantes d’ailleurs »[2].

 * la terza parte sarà pubblicata da TeclaXXI  il 3 dicembre 2024



[1] H. DE RÉGNIER, La vie vénitienne [1928], Paris, Mercure de France, 1990.

[2] A. FRAIGNEAU, Les enfants de Venise [1941], Paris, Arléa.


Xavier Tabet

BIONOTA

Xavier Tabet est professeur au département d’études italiennes de l’Université Paris 8. Ses travaux

portent sur les liens entre la littérature, la politique et le droit, en Italie, du XVIIIe au XXe siècle. Il

a publié des ouvrages sur les interprétations et usages contemporains de Machiavelli, sur le mythe

de Venise de l’ancien régime à nos jours, et sur le droit pénal de Beccaria à Lombroso.


 

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